Ces conclusions sont présentées dans l’article Hydration layer structure modulates superlubrication by trivalent La3+ electrolytes publié dans la nouvelle édition de Science Advances.
Le frottement et l'usure sont des fléaux éternels- nous le savons aussi bien en technologie qu'en médecine. Qu'il s'agisse d'une boîte de vitesses d’une voiture ou d'une articulation de genou, le but est que les pièces glissent les unes sur les autres avec le moins de frottement possible, afin que la dépense énergétique et l'usure soient réduites au minimum.
La nature résout ce problème d'une manière remarquablement efficace : le frottement dans une articulation saine est d'un ordre de grandeur inférieur à celui des pièces mobiles d'une machine. Il est difficile d'expliquer comment la nature y parvient : cela nécessite une compréhension des forces de surface mises en jeu. Une découverte importante vient d'être faite par l’équipe de Xavier Banquy, en collaboration avec une équipe autrichienne de l’Université technologique de Vienne (TU Wien) et une équipe chinoise de l’Université de Tsinghua. La solution du mouvement presque sans frottement réside dans les ions dissous dans l'eau. Cette conclusion permet d’espérer le développement ciblé de méthodes de traitement améliorées pour les maladies articulaires.
Une couche liquide pour un faible frottement
Xavier Banquy a choisi de travailler avec le professeur Markus Valtiner de l'Institut de physique appliquée de la TU Wien puisqu’il est spécialisé dans la physique des interfaces - avec son équipe de recherche, il étudie les effets qui se produisent à la frontière entre deux états d'agrégats différents, par exemple entre un solide et un liquide.
Ce sont précisément de tels effets interfaciaux qui sont cruciaux pour le fonctionnement de nos articulations : « Si un os venait à frotter directement contre un os, ou un cartilage contre un cartilage, le frottement serait très élevé et l'articulation serait rapidement endommagée », explique Xavier Banquy. « L'important est qu'il y ait une couche de liquide entre les deux qui assure le frottement le plus faible possible. »
Cependant, l'eau seule comme lubrifiant ne suffit pas. Il s'avère crucial que les molécules d'eau restent en place en permanence. « La question est de savoir comment le corps parvient à maintenir un tel film liquide stable, même sous charge - c'est ce qu'on appelle la superlubricité », explique Vahid Adibnia, qui a travaillé sur cette étude durant son séjour postdoctoral dans l’équipe du professeur Banquy et est maintenant professeur adjoint à l’Université de Dalhousie. On ne peut répondre à cette question qu'en analysant la surface à l'échelle atomique. L’équipe a donc utilisé la microscopie à résolution subatomique en combinaison avec la simulation moléculaire pour pouvoir élucider la structure du film de molécules d’eau adsorbées sur une surface.
La charge positive aide à maintenir l'eau en place
« On a débattu à propos des mécanismes exacts pendant des années, mais il y a eu des soupçons que les cations chargés positivement pourraient jouer un rôle crucial », explique Xavier Banquy. Le tissu biologique lui-même est souvent chargé négativement à sa surface. Les ions chargés positivement sont attirés et fixés par cette surface. Ces ions chargés positivement, grâce à leur forte affinité pour l’eau, sont alors excellents pour maintenir les molécules d'eau en place.
Le projet faisait partie d'une collaboration de l'équipe de TU Wien que Xavier Banquy a visitée lors d'un séjour invité en 2022, et avec les Pr Jianbin Luo, Ming Ma et Chenhui Zhang de l'Université Tsinghua à Pékin, qui ont développé des simulations moléculaires. Ensemble, ils ont testé l'hypothèse des ions positifs fixant l'eau en utilisant des ions de lanthane triplement chargés positivement.
En effet, sur les images au microscope, on pouvait voir les ions de lanthane chargés positivement se déposer sur le substrat puis accumuler des molécules d'eau autour d'eux. C'est précisément là où le nombre d’ions de lanthane était particulièrement élevé que le film d'eau qui les entourait était le plus prononcé.
Cela crée un paysage de montagnes et de vallées constitué d'eau liquide à l'échelle moléculaire. Si ce film d'eau est lisse et uniforme, le frottement est minime. S'il est rugueux, le frottement est un peu plus important - cela est démontré par les mesures ainsi que par les simulations.
Dans les articulations biologiques, bien sûr, aucun atome de lanthane n'est responsable de cet effet. Mais le même mécanisme est susceptible d'y être induit par des molécules hautement hydratées capables d’interagir fortement avec le cartilage. Ces molécules existent dans nos articulations et l’une d’entre elles s’appelle la lubricine. « Il s'agit d'une molécule qui possède deux extrémités pouvant s'accrocher au cartilage, et le milieu de la molécule forme une sorte de boucle dans laquelle l'eau est maintenue en place par l’effet d’interactions moléculaires faibles. Lorsqu'un stress est appliqué, cette eau peut être libérée », explique Banquy.
Le mouvement est bon pour l'articulation
« Lorsque vous analysez ces molécules, vous réalisez également : il est important de presser cette boucle pour maintenir le film d'eau », explique Xavier Banquy. « Cela explique aussi pourquoi il est important de faire un peu d'exercice, surtout en cas de problèmes articulaires. Dans les articulations immobiles, les frottements augmentent à nouveau avec le temps. »
Les principes physiques qui viennent d'être découverts vont maintenant être étudiés plus en détail afin qu'ils puissent être utilisés pour développer de futurs traitements pour les problèmes articulaires. « Nous sommes convaincus que l'utilisation de matériaux combinant une forte affinité pour le cartilage et une excellente capacité d’hydratation peut jouer un rôle important dans les mesures thérapeutiques », déclare Xavier Banquy.