Lorsque la Québécoise Madeleine Tremblay revient de France le 21 février 1978 pour fonder Servier Canada à Pointe-Claire, elle a l'ambition de faire de la filiale canadienne du groupe international de recherche pharmaceutique un joueur clé. Près de cinq décennies plus tard, Servier Canada est la quatrième succursale du Groupe Servier en termes de ventes et emploie plus de 325 personnes, dont 161 au Québec. Le montant investi en recherche et développement en 2013 s'élevait à plus de 35 M$, soit 14,5 % de ses revenus.
Mme Tremblay-Servier ‒ «Mado» pour les intimes ‒ est fière du chemin parcouru. Fière de sa filiale canadienne, déménagée à Laval en 1994, mais aussi de celles créées à l'étranger, notamment en Australie, en Afrique du Sud, en Turquie, en Iran, au Japon et en Inde. Sous sa gouverne, une quarantaine de succursales ont vu le jour dans des pays anglo-saxons, la plupart en Europe, mais également aux États-Unis. «Je faisais l'équivalent de six fois le tour du monde chaque année», raconte la gestionnaire reconnue à l'échelle internationale pour sa brillante carrière dans l'industrie du médicament. Elle a d'ailleurs reçu plusieurs honneurs, dont le titre d'officière de la Légion d'honneur et de l'Ordre national du mérite, ainsi que celui de conseillère du Commerce extérieur de la France.
Sa feuille de route est impressionnante : après une formation en pharmacie à l'Université de Montréal (1954), elle fait un doctorat en toxicologie industrielle à l'Université Paris Descartes (1957). Puis elle entame sa carrière au sein des Laboratoires Servier, où elle occupera divers postes importants avant de devenir, en 1981, présidente de Servier Amérique, une fonction qu'elle assume pendant 17 ans tout en étant membre du conseil d'administration de la multinationale française. Basée à Neuilly, à Paris, l'entreprise fondée par Jacques Servier en 1954 s'est démarquée au cours des années 60 en lançant plusieurs médicaments, dont un antihypertenseur et un antidiabétique. Le Groupe Servier compte aujourd'hui plus de 21 000 employés.
À 86 ans, la toxicologue et femme d'affaires, devenue Mme Tremblay-Servier à la suite de son mariage avec M. Servier en 2010, préside toujours le Collège international de recherche Servier (CIRS), une organisation à but non lucratif qui suit de près les progrès scientifiques réalisés dans divers domaines médicaux.
«C'est une femme extraordinaire dotée d'une énergie hors du commun. Malgré ses réalisations remarquables, elle demeure humble, chaleureuse et facile d'accès», dit le Dr Pavel Hamet, qui la côtoie depuis 30 ans. En 1998, Mme Tremblay-Servier a invité le professeur de la Faculté de médecine de l'UdeM et chef du Service de médecine génique du CHUM à siéger au conseil scientifique du CIRS. Il n'a jamais regretté d'avoir accepté. «C'est une personne alerte et très rigoureuse envers les membres de son équipe. Elle l'est tout autant envers elle-même.»
Le Dr Hamet a pris part à la cérémonie organisée le 28 août dernier sur le campus en l'honneur de Mme Tremblay-Servier. Une cinquantaine d'amis et de membres de sa famille, dont Marcelle et Jean Coutu, ainsi que des collègues, des intervenants du monde pharmaceutique, d'anciens doyens de la Faculté de pharmacie et des représentants de l'Université s'étaient déplacés à l'atrium du pavillon Jean-Coutu pour l'occasion.
Rappelons que l'an dernier, soit le 10 octobre 2014, Mme Tremblay-Servier et le Groupe Servier ont fait un don majeur de 750 000 $ à la Faculté de pharmacie de l'Université. Ce fonds de recherche et d'enseignement qui porte le nom de la fondatrice de Servier Canada est destiné à la formation des futurs talents de l'industrie pharmaceutique. «Notre société doit faire de l'éducation et de la santé une priorité, des enjeux majeurs pour l'avenir. Par ce fonds consacré au développement du médicament, on vise à encourager les diplômés à poursuivre leurs études aux cycles supérieurs», mentionne celle qui a tenu à redonner à l'établissement qui a initialement contribué au succès de sa vie professionnelle.
Une femme d'action
Quand elle était enfant, à Lachute, elle parlait de soins de santé avec son frère aîné Bernard, diplômé en médecine de l'Université de Montréal. «Comme il y avait déjà un médecin dans la famille, j'ai opté pour la pharmacie, relate-t-elle. Je ne regrette pas mon choix.»
Madeleine Tremblay-Servier se souvient très bien de ses années d'études à l'UdeM au début des années 50. «Il n'y avait que trois femmes dans ma cohorte. De nos jours, 70 % des étudiants inscrits dans les différents programmes de formation en pharmacie sont des filles. C'est tout un changement.» Le rôle du pharmacien a aussi grandement évolué depuis l'apothicaire et est appelé encore à se transformer. Selon la philanthrope, le pharmacien est un professionnel de la santé de première ligne. «C'est l'expert du médicament. Il joue un rôle central dans notre système de santé, fait-elle remarquer, car il s'assure de l'usage approprié des médicaments auprès de la population.»
Au cours de l'entrevue avec Forum, cette grande lectrice et férue d'histoire a parlé de divers sujets qui lui tiennent à cœur, dont la médecine personnalisée, rendue possible par les nouvelles techniques de génomique. «Le Québec est un leader dans ce secteur», rappelle Mme Tremblay-Servier. Même si elle a ralenti ses activités professionnelles, la toxicologue demeure très active. Chaque matin, elle marche pour se rendre à son bureau, parapluie à la main en guise de canne. En après-midi, elle travaille de la maison, à Neuilly-sur-Seine, sur sa tablette électronique. De toute évidence, Madeleine Tremblay-Servier a encore beaucoup à donner.
Dominique Nancy
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